Se souvenant des lourdes pertes subies pour la prise, quartier par quartier, de la ville de Strasbourg, von Moltke n’a aucunement l’intention d’investir la capitale. Celle-ci étant totalement coupée du reste du monde, il suffit d’attendre qu’elle ait épuisé ses réserves de nourriture…
Un allié circonstanciel de poids pour le stratège prussien en ce dernier trimestre 1870 : le froid. Le thermomètre descend jusqu’à -20°C en décembre, la Seine est gelée. Le bois de chauffage atteint des prix exorbitants (il n’y a plus de charbon et la distribution du gaz est limitée à quelques heures, uniquement pour l’industrie).
Malgré les importantes réserves de vivres amassées avant le siège, c’est bien la famine qui se révèle l’arme la plus meurtrière pour les Parisiens.
Les familles aisées trouvent encore des viandes de choix – antilopes, chameaux, éléphants en provenance du Jardin des Plantes ; les deux éléphants, Castor et Pollux sont vendus 13 500 francs chacun à la Boucherie anglaise du boulevard Haussmann, proposée à la clientèle des beaux quartiers sous la dénomination viande de fantaisie. La population se contente le plus souvent de cheval (sur les 100 000 de septembre, il en reste 35 000 début janvier) avec d’autres viandes de provenances incertaines : « On mange de l’inconnu », écrit Victor Hugo !
La situation va devenir beaucoup plus dramatique au fil des jours pour l’ensemble de la population parisienne, et surtout pour ses 500 000 déshérités.
Certes le pain et la viande de cheval sont rationnés et taxés, mais, si la solde journalière du Garde national chargé de famille est de 2,25 francs, en quelques semaines le tarif du litre de lait est multiplié par quatre, celui du beurre par huit, celui des pommes de terre par dix, celui des œufs par quatorze… Les prix s’envolent, on se rabat sur les poissons de la Seine, les chiens, les chats, les moineaux, les rats…
Début décembre, un quart de la population est en état de sous-alimentation. À la fin de l’année, pour ceux qui peuvent l’obtenir, la ration individuelle est de 25 à 40 grammes de viande de cheval et de 300 grammes d’un pain noir mêlé de riz et d’avoine, dont Jules Ferry dira : « La population ne me pardonnera jamais ce pain-là, on l’appelle le pain Ferry. J’en porte le fardeau ».
Début janvier, Joseph Magnin (1824-1910), ministre du Commerce et de l’Agriculture, responsable de l’approvisionnement des boulangeries et des boucheries, estime qu’on ne pourra pas tenir au-delà de début février.
L’idée de l’armistice va s’imposer autant pour des raisons de subsistance que pour des raisons militaires…